lundi 19 mars 2018

Tous et chacun (1)

Tous et chacun. Comment ça s'organise, cette histoire-là ? Comment peut-on être un "tous" plutôt qu'une accumulation de "chacun" ? Cette question s'est posée de façon très vive à la jeune Église.
Lorsqu'il écrit à la communauté de Rome entre 55 et 60 de notre ère, Paul s'étend longuement sur le sujet. 
Il l’affirme, il n’y a rien de plus important que la grâce de Dieu qui nous est offerte gratuitement, à chacun, pour faire de nous des êtres libres et profondément vivants. Mais une fois qu’on a dit ça... il reste à vivre ensemble. Et la communauté des croyants de Rome, au moment où Paul lui écrit, se pose beaucoup de questions. Comme dans toute communauté humaine, ils ne sont pas d’accord entre eux, ce qui cause un certain nombre de remous. Troublée, oui, la communauté de Rome. Sur des questions concrètes, immédiates, quotidiennes. Comment vivre sa foi ? Comment vivre au quotidien ce que la foi, profondément, nous dicte de faire ? Comment vivre sous le regard de Dieu ? Comment vivre ensemble sous le regard de Dieu ? Comment devenir un "tous" à partir de plein de "chacuns" ?
Imaginez.
Voici un chrétien de Rome. Il est d’origine païenne, c’est-à-dire qu’il vient d’un milieu où l’on rend un culte aux nombreux dieux de la cité, et à l’empereur. Ce culte consiste essentiellement en offrandes, soit de viande (on tue des animaux pour les offrir aux idoles), soit de vin (qu’on répand sur les autels). Il a écouté la prédication des premiers chrétiens à Rome et il a rencontré le Christ à travers cette prédication. Pour lui, cette rencontre signifie que toutes les pratiques du culte des idoles peuvent être abandonnées, parce qu’elles n’ont plus aucun sens. Le seul Dieu, c’est le Dieu de Jésus-Christ, et Dieu n’a pas besoin de toutes ces offrandes, de ces sacrifices : c’est gratuitement, par grâce, qu’il nous offre son salut. Pour cet homme, le péché ce serait de revenir aux idoles alors qu’il a connu Dieu ; ce serait de se soumettre à nouveau à ces idoles. Pour lui, la foi c’est de rendre grâce à Dieu pour la liberté. Liberté qui libère des faux dieux. Mais aussi liberté qui libère de tous les esclavages et du péché. La rencontre avec le Dieu de Jésus-Christ lui ouvre un avenir débarrassé de tout ce qui écrasait sa vie. 
Voici un autre chrétien de Rome. Lui est d’origine juive. Jusqu’à une génération en arrière, il y avait beaucoup de juifs à Rome, mais ils ont été expulsés par l’empereur Claude et ceux qui sont revenus sont une minorité. Ce chrétien-là appartient donc à un milieu où vivre la foi au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob signifie trouver des moyens de respecter la loi de Dieu malgré les difficultés. Ce ne sont pas les protestants qui diront le contraire : lorsqu’on est minoritaire, on s’attache à son identité, à sa culture, et souvent c’est bien ça qui permet de survivre. Ne pas lâcher la façon dont on vit sa foi, c’est s’enraciner en Dieu. C’est se tourner vers lui, dans les grandes et les petites choses. Or pour un juif à Rome dans ces années-là, une chose pose problème : le respect des lois alimentaires, ces lois prescrites par Dieu au peuple de Moïse. On ne peut pas consommer, par exemple, de viande qui ait été sacrifiée pour le culte des idoles. Mais la communauté juive est encore trop peu nombreuse pour que les boucheries cacher aient été rouvertes, et celle qu'on trouve sur le marché risque de venir d'un sacrifice. Vivre à Rome pour un juif de ces années-là, c’est donc souvent devenir végétarien, pour respecter Dieu et sa loi. Mais cet homme dont je vous parle, lui aussi, a entendu la prédication et il a cru à l’Evangile de Jésus-Christ ressuscité. Il a rencontré le Christ, lui aussi, et a accueilli dans sa vie la promesse que Dieu, en son fils, renouvelle pour le monde entier. Il est placé devant un dilemme : s’il est toujours juif, il doit toujours se conformer à la loi de Dieu, et les lois alimentaires en font partie. Mais sa foi lui ouvre d’autres horizons. Sa foi lui dicte la confiance dans un homme venu sur terre pour témoigner d’un visage de Dieu que personne, jusqu’à présent, n’avait imaginé. Un Dieu qui aime tant ses créatures qu’il va jusqu’au bout de son amour pour eux. Un Dieu qui désire tant l’amour de ses créatures qu’il ne leur demande rien en échange de sa grâce... 
Deux chrétiens. Deux vies différentes. Deux chemins qui se rejoignent. Deux hommes qui, chacun pour lui-même, doit décider ce que signifie la grâce qui survient dans sa vie. Deux hommes qui se côtoient lorsqu’ils sont réunis pour rendre grâce à Dieu pour cette grâce qui survient. Deux hommes qui ont changé de vie, radicalement, pour accueillir le Christ. Deux hommes qui partagent le repas du Seigneur. Deux hommes qui sont en bonne voie de créer un "tous". Sauf que... ils restent des "chacuns". Car, repas du Seigneur ou pas, c’est encore une question de nourriture qui les sépare.
Pour le premier, le chrétien d’origine païenne, sa foi le pousse à manger de tout. Puisqu’il n’y a plus d’idole, alors les sacrifices n’ont aucun sens et les viandes sacrifiées aux idoles sont comme toutes les autres viandes. Il mange donc de tout, parce que sa foi le lui dicte.
Pour le second, le chrétien d’origine juive, sa foi le pousse à ne pas manger de viande sacrifiée aux idoles. C’est ainsi qu’il respecte Dieu, le Dieu d’Israël qui est aussi le Dieu de Jésus-Christ. Il ne mange pas de tout, parce que sa foi le lui dicte. 
Comment vivre ensemble ? Comment respecter l’autre dans son désir profond d’accueillir Dieu, pour devenir un "tous" ?
La suite au prochain numéro... (mais si vous êtes pressés, vous pouvez toujours lire ou relire le chapitre 14 de l'épître aux Romains).

Corinthe, v. 540 av. JC

1 commentaire:

  1. Je te donne ma langue (enfin, à Luke).

    Parce que la réponse qui vient (ce qu'on mange n'est pas très important ; ce qui compte, c'est l'amour) est trop facile. Parce que les autres sont vraiment différents de moi et qu'ils peuvent être vraiment choqués par des choses qui me sont indifférentes. Et si on les aime, il faut en tenir compte. Et je ne sais pas très bien comment...

    RépondreSupprimer

Pour laisser un commentaire