mardi 30 janvier 2018

A-t-on droit à un pasteur ?

Dans la lettre aux Ephésiens, l'apôtre Paul, qui écrit pendant sa captivité, parle longuement de ce qu'est l'Eglise. Il utilise plusieurs métaphores, dont celle du corps, notamment ici, au chapitre 4. 

Je vous encourage, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à vous comporter d'une manière digne de l'appel que vous avez reçu, en toute humilité et douceur, avec patience. Supportez-vous les uns les autres, dans l'amour, en vous efforçant de conserver l'unité de l'Esprit par le lien de la paix. Il y a un seul corps et un seul Esprit, tout comme vous avez aussi été appelés dans une seule espérance, celle de votre appel ; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous. Mais à chacun de nous, la grâce a été accordée selon la mesure du don du Christ. C'est pourquoi il dit : "Il est monté dans la hauteur, il a emmené des captifs, il a fait des dons aux humains". Or, que signifie "il est monté", sinon qu'il est aussi descendu dans les régions inférieures, sur la terre ? Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir tout.
C'est lui qui a donné les uns comme apôtres, d'autres comme prophètes, d'autres comme annonciateurs de la bonne nouvelle, d'autres comme bergers (pasteurs) et maîtres (enseignants), afin de former les saints pour l'oeuvre du ministère, pour la construction du corps du Christ, jusqu'à ce que nous soyons tous parvenus à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état de l'homme adulte, à la mesure de la stature parfaite du Christ. Ainsi nous ne serons plus des tout-petits ballottés par les flots et entraînés à tout vent d'enseignement, joués et égarés par la ruse et les manoeuvres des gens ; en disant la vérité, dans l'amour, nous croîtrons à tous égards en celui qui est la tête, le Christ. C'est par lui que le corps tout entier, bien coordonné et uni grâce à toutes les jointures qui le desservent, met en oeuvre sa croissance dans la mesure qui convient à chaque partie, pour se construire lui-même dans l'amour. 

Un pasteur est, avec d'autres, au mieux, une jointure. Rien d'autre qu'une jointure. Il n'est certainement pas la tête (ça c'est le Christ), il n'est pas un organe particulièrement essentiel, il est utile parce qu'il permet la mobilité et l'aisance du mouvement. 
C'est une différence majeure entre églises protestantes et Eglise catholique romaine : pour les catholiques, le pasteur/prêtre fait l'être de l'Eglise ; pour les protestants, le pasteur est là pour le bien-être de l'Eglise. Utile, mais pas indispensable. 
Il n'est pas inutile de s'en souvenir, qu'on soit pasteur ou "simple" membre d'une Église. Ca remet au coeur des uns la nécessaire humilité dans une fonction utile mais décentrée, et à la mémoire des autres que non, personne n'a "droit" à un pasteur. Être chrétien, c'est faire le pari fou que Dieu nous appelle à nous entraider dans la vie de foi, à nous écouter, nous comprendre autant que possible et souvent nous pardonner mutuellement, car il n'y a pas d'humanité sans incompréhension. Ce n'est pas se réclamer d'un droit à bénéficier d'un service.
Comme le rappelle Antoine Nouis dans le journal Réforme (26 janvier 2018), le pasteur Roland de Pury a eu recours à une autre image que celle du corps utilisée par Paul, ce qui a sans doute pour avantage de renouveler notre lecture : "Dans l'armée de combattants constituée par l'Église, le pasteur occupe la place du cuisiner. Il prépare et distribue la nourriture. Mais ceux qui sont en ligne, ceux qui se battent régulièrement, ceux qui témoignent face à l'ennemi, ce sont les laïcs... Le rôle premier du pasteur est d'aider les fidèles à témoigner en leur procurant les aliments indispensables à leur semaine chrétienne." Quelle belle image !

Affiche transmise par un collègue à la retraite

lundi 29 janvier 2018

Préhensible

- Mon humaine, tu sais quel prix j'attache à la métaphore. 
- Oui, ça m'a toujours un peu étonnée cette connaissance des figures de style, chez un chat. 
- C'est bien plus qu'une figure de style, mon humaine ! C'est le coeur de toute communication, la pierre angulaire du langage, le noeud de toute chose dans la parole. 
- Mon chaton, si ton seul outil est un marteau, tu croiras que tout est un clou.
- Apparemment tu as bossé sur tes métaphores et je t'en félicite, mais celle-ci ne marche que si on a des pattes préhensibles. Il faut aussi savoir s'adapter à son public.
- Soit. Mais je te rappelle que pour quelqu'un qui aime les métaphores, tu es parfois extrêmement littéral.
- Qui, moi ?
- Je te signale que tu appelles "ton truc à boucan chaud" mon sèche-cheveux et les "gros cheveux de tes sur-pattes du bas" mes lacets. 
- Hmmm. C'est de la poésie. Donc, d'une certaine façon, une métaphore quand même.
- Et le diable dans mon garage, c'est pas toi qui disais que par précaution, il vaudrait mieux s'en débarrasser, parce que même si c'est bien pratique, un diable dans un presbytère, ça la fiche un peu mal ? Si c'est pas un légalisme parfaitement oublieux de toute métaphore, ça, je sais pas ce que c'est !
- Personne n'est parfait, mon humaine. 
- Allez, à part l'absence de pouces opposables, tu n'en es pas si loin, mon chaton.


vendredi 19 janvier 2018

Ma case et ta case

- Alors, mon humaine, comment ça v...
- Nan ! Ronch ronch ronch
- Oh. C'est pas la forme, hein ? Qu'est-ce qui se p...
- Je HAIS les hôpitaux !
- Ah. Mais je croyais que tu avais découvert qu'on y rencontrait des gens épatants ?
- Pfff. Ouais. Mais je hais les hôpitaux.
- Je sens que tu vas m'expliquer ça... 
- Dans la réalité de la vie humaine, tu deviens malade quand ton corps déraille (la métaphore vaut ce qu'elle vaut).
- Hmmm. Ca vaut pour les chats, aussi.
- Oui, évidemment. Mais dans le système médical, tu vois, tu deviens malade quand la médecine a trouvé ce que tu as.
- Et avant ça ?
- Avant ça, dans le pire des cas, tu continues à faire ce que tu fais en attendant que la médecine te reconnaisse malade. Dans le meilleur des cas, on te colle dans une sorte de case intermédiaire. 
- Comme quoi ? 
- Dépression, par exemple. Parce qu'il faut bien te mettre quelque part pour pouvoir te soigner. Ca part d'un bon sentiment, celui de vouloir soigner. 
- Et tu viens de te retrouver dans une case intermédiaire, c'est ça qui te rend toute grounch ?
- Ouais. Encore une. Quand j'ai fait un AVC, on m'a dit que c'était à cause d'une certaine case où on m'a collée illico en m'expliquant que c'était fini et que tout allait bien. Je n'allais pas bien. Alors on m'a collée dans d'autres cases en attendant d'en savoir plus. Neuf mois plus tard, on a découvert au décours d'un examen plus poussé que la case initiale n'était pas la bonne et qu'il était normal que je n'aille pas bien. On aurait dû virer les cases intermédiaires qui n'avaient plus de raison d'être, mais par précaution on m'y a laissée. Et petit à petit, je me suis retrouvée dans tout un tas de cases, certaines par précaution, d'autres en attendant de voir, certaines qui étaient certaines et certaines qui étaient incertaines. Maintenant, je ne sais plus où je crèche. Il y a des petits bouts de moi un peu partout (métaphoriquement) et de rendez-vous en rendez-vous, j'ai du mal à me réunir... 
- Ma pauvre humaine... essaie la sieste, ça regroupe pas mal. Mais tu crois que c'est une aberration du système médical ?
- Non ! même pas ! c'est ça le pire, c'est que c'est utile ! Pas tant pour les gens individuellement que pour pouvoir s'occuper de la santé de tout un groupe humain, dans l'intérêt général. Parce que, heureusement, la médecine moderne est basée sur des principes scientifiques, qui impliquent de gérer des grands nombres. Et personne ne peut aujourd'hui remettre ça en question, parce que ça sauve des vies, pour de vrai. 
- Mais ?
- Mais le bien collectif, ça ne dit encore rien de l'être même de chacun. Et c'est dans notre être même que ça se passe, d'être humain... dans ce coin inconnu de nous-même, qui a un besoin infini d'être reconnu comme unique, et soutenu par la relation avec d'autres, une relation vraie, en confiance. Sans case. 
- Je sens venir la chute théologique.
- Tu sens bien, mon chaton. Il se murmure chez ceux qui croient que Dieu, pour parvenir à chacun, ne passe pas par la masse des grands nombres. Il se rend présent dans cette part inconnue de nous-même... pour Dieu, ma case est sa case. Quelle qu'elle soit. 


samedi 13 janvier 2018

Tu ne devrais pas exister

Le président américain, Donald J. Trump, a décrété récemment que n'étaient pas les bienvenus pour migrer aux Etats-Unis les citoyens de "pays de latrines". C'est la dernière en date (du moins à l'heure où j'écris) d'une très longue série de remarques plus ou moins publiques, plus ou moins assumées, mais qui toutes ont soulevé des montagnes de commentaires horrifiés. 
C'est que le président Trump expose, de façon très crue et très violente, ce qui se terre au fond de chacun et chacune de nous : ce sentiment lancinant, que nous recouvrons du manteau de la maîtrise de soi, que certains dans ce monde ne devraient pas exister. 
Trop malades, trop inquiétants, trop basanés, trop différents, trop dépendants... "trop" quelque chose. Ou "pas assez" quelque chose. Mais de toute façon, inacceptables. Et ça se vit jusque dans nos églises, avec ces petits regards désolés devant tel ou telle qui n'est pas assez bien pour être là... qui n'est pas comme il faudrait. 
Il y a au moins deux façons de faire face à ce sentiment bien ancré en nous, individuellement et collectivement, quand on réfléchit à la lumière de l'Evangile. La première façon, c'est de dire que le commandement d'amour laissé par Jésus nous invite à passer outre à ces vilains penchants pour se forcer à aimer son prochain malgré tout. Ca peut, dans le pire des cas, aboutir sur une belle hypocrisie. Dans le meilleur des cas, ça incite à se pencher ensemble sur la question et sur les textes bibliques pour se demander comment ça fonctionne, tout ça, et qui est le prochain de qui, pour comprendre ensemble d'où vient la lumière qui nous manque. 
La deuxième façon, c'est d'admettre. Admettre que ce sentiment lancinant "tu ne devrais pas exister", c'est d'abord et avant tout quelque chose qui nous hante parce que c'est une question qui nous est posée personnellement. Moi, en tant que sujet humain, pourquoi suis-je en vie ? est-il légitime que je sois en vie ? que faudrait-il faire pour gagner le droit d'être en vie, même si je suis intimement convaincu que je n'y ai pas droit ? Le mystère de nos origines ne cesse pas de nous hanter. Et c'est tout naturellement, très humainement, que nous rejettons sur les autres le poids d'une question qui se pose pour nous. Nous passons sans le voir de "ai-je le droit d'exister" à "celui-là, celle-là, n'a pas le droit d'exister". C'est une façon comme une autre de se défendre contre la noirceur qui nous pèse, en nous-mêmes. Mais ce que je ne cesserai jamais de proclamer, c'est qu'au regard de Dieu, tout cela n'a que le poids d'un courant d'air. Dans le regard de Dieu, j'ai le droit d'exister et il est bon que je sois en vie. Dans le regard de Dieu, l'autre qui me fait face a le droit d'exister et il est bon qu'il soit en vie. Dans le regard de Dieu, tous ceux que je ne connais pas et qui, peut-être, me font peur, ont le droit d'exister et il est bon qu'ils soient en vie... Ca me remet à ma place, très modeste. Et ça me libère à la fois de l'hypocrisie et de la violence. 
Je ne veux pas savoir comment ça se joue pour le président Trump. Ce n'est ni ma fonction ni ma vocation. Je ne peux qu'espérer qu'une parole de grâce vienne bouleverser ce qui manifeste une vraie souffrance et fait écho à celle de toute une nation. Et comme citoyenne du monde, j'ai le droit de m'inquiéter de ce que cet homme, dont on dit qu'il est le plus puissant du monde, ait les moyens de mettre en oeuvre par bien des façons ce fantasme qui nous hante tous. 


mardi 2 janvier 2018

Bonne année

- Dis, mon humaine, on peut se souhaiter la bonne année ?
- Ben oui, pourquoi ?
- C'est pas un peu... païen ?
- Et alors ?
- ...
- A Noël (et c'était il y a pas bien longtemps), on se tue à dire que Dieu s'invite dans nos vies, dans la nature humaine, dans la culture des humains. Ca veut dire qu'il fait irruption là où nous sommes, avec les mots, les gestes et les traditions qui sont les nôtres.
- Tu veux dire qu'être chrétien, c'est d'abord ne pas l'être ?
- C'est un magnifique raccourci, oui.
- Ca doit vous libérer de tout un tas de culpabilité, vous autres les humains.
- Ca devrait, oui. Mais bon, on est humains... on continue à faire avec. Mais ça ouvre une infinité d'autres perspectives. On est chrétiens du dedans de notre vie pas chrétienne, ça rend la frontière assez aléatoire... 
- Ah. Alors bonne humaine, mon année. Je veux dire, bonne année, mon humaine.
- Bonne année, mon chaton.
- Et plein de gratouillis.
- Et plein de gratouillis.